Antoine Rabadan
Il s’agit d’étirer le front au maximum pour mettre en difficulté la capacité de l’armée ukrainienne à répondre partout, donc pour l’obliger à disperser ses forces et à subir l’infériorité numérique inévitable de la part d’une armée russe sacrifiant un nombre incroyable de ses hommes.
Car c’est cela la clé du moment militaire en Ukraine : la tactique russe fait le calcul cynique d’assumer un désastre humain inouï en comptant sur le différentiel démographique (140 millions d’habitants pour la Russie contre une quarantaine, et probablement moins à cause de l’exil massif de population provoqué par la guerre pour l’Ukraine).
Cela confirme la dimension politique qui est au cœur de la guerre déclenchée par la Russie : celle d’un impérialisme impitoyable pour le peuple ukrainien mais aussi pour le « sien » propre qu’il accepte de décimer sans état d’âme. Le tout au profit de la petite caste capitaliste mafieuse, celle d’un État corrompu dont l’affairisme exponentiel est structurellement imbriqué dans celui des oligarques issus de la décomposition du bureaucratisme stalinien et reconvertis dans la plus sauvage assomption des logiques de profitabilité individualistes.
On notera que c’est ce système mortifère que cautionnent les partisans internationaux de refuser d’armer, sans rire, au nom de la paix, à la hauteur des besoins d’autodéfense les Ukrainien.ne.s. Comme ils cautionnent les horreurs que cette monstruosité systémique néofasciste impose, et imposerait hyperboliquement au peuple ukrainien, si elle n’était pas arrêtée militairement.
A ce propos, actuellement c’est une course de vitesse qui doit s’engager, après tant d’atermoiements stupéfiants des États occidentaux, pour que les Ukrainien.ne.s reçoivent le maximum d’armements de toute nature et immédiatement opérationnels pour leur permettre de continuer à contrer l’actuelle offensive russe. Laquelle, en l’état, n’obtient que des résultats dérisoires, bien que provoquant aussi de grandes pertes humaines de leur côté et risquant, c’est le but de Poutine, de susciter une usure morale des combattant.e.s.
C’est à se demander si l’état major ukrainien ne va pas devoir avancer la grande offensive qu’il prépare, sans plus attendre d’être fin prêt pour l’assaut final. Le choix serait risqué mais peut-être nécessaire pour non seulement bloquer l’hémorragie humaine sur le front mais aussi tester si, avec l’armement déjà disponible en réserve de cette grande offensive, il ne pourrait pas se vérifier que le choix cyniquement inhumain russe de mener à la mort tant de soldats n’est en réalité pas en capacité de résister à la mobilisation des nouveaux armements. Au constat que finalement c’est maintenant ou jamais de faire jouer cette supériorité logistique contre la supériorité numérique par laquelle l’ennemi cherche à compenser ses faiblesses logistiques.
Tout ceci confirme que, face à ce que représente l’impérialisme totalitaire russe tel qu’il se donne à voir dans la plénitude de sa criminalité absolue, le chemin de la paix, pour peu qu’on assume que celle-ci passe par la défense intransigeante d’un peuple en lutte pour sa souveraineté et ses libertés, ne peut s’ouvrir que par la défaite militaire la plus radicale dudit impérialisme.
N’en déplaise à une gauche en train de s’autodétruire, elle, dans un irénisme prépolitique, négateur incroyable des souffrances du peuple ukrainien et de celles qui l’attendraient s’il était vaincu, et signant par là l’abandon définitif de son traditionnel internationalisme.