Dominique Vidal
Depuis quelques années, "Le Monde diplomatique" manifeste parfois une certaine complaisance vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine. Comme si le mensuel retombait dans un "campisme" typîque des années 1950.
Sauf que la guerre froide est terminée depuis trente ans: le monde d'aujourd'hui voit s'affronter plusieurs impérialismes - l'américain, le plus puissant, mais aussi le russe, le chinois, sans oublier les puissances régionales telles qu'Israël, la Turquie, l’Arabie saoudite, l'Iran, l'Inde, etc. Il serait absurde de prendre parti pour l'un contre les autres...
C'est ce qui choque à la lecture de l'article de Serge Halimi et Pierre Rimbert, publié en dernière page du numéro de septembre sous le titre "Voluptueux bourrage de crâne". Il s'agit d'un pamphlet contre la seule propagande ukrainienne et son relais par les médias occidentaux, et notamment français. En revanche, les auteurs ne consacrent, sous leur propre plume, pas une ligne, pas un mot de ce brûlot à Poutine, à sa décision d'envahir la Russie, aux crimes de guerre et contre l'Humanité que son armée y commet en série, ni à... sa propagande.
Bref, la critique - évidemment légitime - du biais des médias sert contraste avec le silence - non moins évidemment illégitime - sur la politique belliciste de Moscou.
Mes deux confrères accrochent ironiquement leur texte: "Le président Volodymyr Zelensky, interrogent-ils, est-il aussi rédacteur en chef des médias occidentaux ?" Arrivé à la fin de leur article, (https://www.monde-diplomatique.fr/2022/09/HALIMI/65016?var_ajax_redir=1) on serait plutôt tenté, quitte à user du même humour qu’eux, de se demander: "Le président Vladimir Poutine est-il aussi directeur du “Monde diplomatique”?"
Trêve de plaisanterie. Cette étrange article incite à poser à nouveau une question de fond: oui ou non, les crimes de guerre et contre l'Humanité doivent-ils être dénoncés, quels qu'en soient les auteurs ? À moins que Serge Halimi et Pierre Rimbert pensent que les civils bombardés, les innocents torturés, les prisonniers castrés au couteau et les femmes violées par des groupes de soldats ivres - autant d'horreurs dénoncées par les organisations internationales, y compris Amnesty qu’ils citent quand ça leur convient - relèvent de la propagande ? L'adjectif "voluptueux" est en tout cas malvenu...