Wagner, l’alliance du crime et de la destruction des écosystèmes

Author

Reporterre

Date
January 26, 2023

Mines, hydrocarbures, richesses locales... Les mercenaires russes de Wagner continuent de s’enrichir sur le dos de l’environnement et des peuples. En Ukraine comme en Afrique.

Tel est le credo du groupe paramilitaire russe Wagner. Depuis le début du conflit en Ukraine, cette armée privée ne cesse de gagner en influence. Son essor rapide éclaire les nouvelles logiques de la guerre dans une époque marquée par la crise écologique et la compétition générale pour l’accès aux ressources naturelles.

Partout où elle se déploie, cette entreprise privée se nourrit sur le dos de la bête. Elle s’empare des concessions minières, se lance dans l’exploitation d’hydrocarbures et part à la recherche de tout ce qui brille. Comme de nouveaux conquistadors. Des corsaires du XXIe siècle.

Multipliant les sociétés-écrans et les structures fantoches, l’entreprise joue de son opacité pour continuer à s’enrichir et à accumuler du pouvoir au sein de l’appareil d’État russe. Récemment, son armée privée s’est lancée à l’assaut de Soledar au nord de Bakhmout, dans l’oblast de Donetsk, en Ukraine. Cette ville concentre à elle seule la majeure partie de l’offensive russe.

En périphérie du bourg, ses mercenaires se sont emparés d’une immense mine de sel. Plusieurs analystes y ont vu les raisons véritables de l’acharnement qui poussait l’entreprise à multiplier les raids mortels contre les défenses ukrainiennes. Car la zone représente peu d’intérêt stratégique : elle ne se trouve pas sur un nœud logistique et n’ouvre pas la voie à une conquête plus large du territoire.

« Wagner vise une rentabilité maximale »

Le 11 janvier, le patron sulfureux de Wagner, l’oligarque Evgueni Prigojine se photographiait dans le sous-sol de Soledar. Cette mine a fait la fortune de la région. C’est l’un des gisements les plus importants du monde avec des kilomètres de galeries profondes. Chaque année, 6,8 millions de tonnes de sel sont extraites par la société ukrainienne Artemsil. L’Ukraine contrôle 20 % de la production mondiale. Son sel a l’avantage d’être extrêmement pur et facile à exploiter, ce qui le rend très compétitif.

Les hypothèses restent encore ouvertes pour comprendre les enjeux de la bataille en cours. Mais il est fortement plausible que Wagner tente de se positionner, et de prendre à l’avenir possession de ce type d’infrastructures. Ailleurs, dans d’autres conflits de haute intensité, cette prédation est sa marque de fabrique. Depuis 2014, elle a monnayé ses prestations de sécurité contre des ressources naturelles et s’est peu à peu professionnalisée dans l’extractivisme.

Avec la complaisance du Kremlin.

« Le déploiement de Wagner permet à la Russie de redevenir une grande puissance géopolitique, à moindres frais, souligne l’ancien journaliste Charles Bouessel, désormais consultant à l’International Crisis Group.

C’est une stratégie d’influence low cost. En envoyant des mercenaires à la place de l’armée régulière, la Russie diminue le coût d’intervention de ses opérations étrangères. » D’autant que ces milices cherchent, au maximum, à s’autofinancer. « Contrairement à une intervention militaire classique, Wagner réfléchit comme une grande entreprise. Elle vise une rentabilité maximale.

Elle va essayer de gagner autant d’argent qu’elle en dépense sur place. Si ce n’est plus », précise-t-il.

Dans certains pays, l’entreprise a littéralement fait main basse sur les richesses locales.

En République centrafricaine, dès 2018, elle s’est emparée de la mine d’or de Ndassima, la plus importante de la région.

Tout en formant l’armée et en défendant le pouvoir en place, « les Russes ont entamé de nombreux sondages géologiques, raconte Florent Vergnes, auteur d’un long reportage dans la revue XXI. Ils creusent un peu partout : dans les concessions minières que le gouvernement leur octroie ou en zone de conflit où le diamant est illégal ».

Les mercenaires obtiennent des permis d’exploitation directement auprès des hautes autorités de l’État sans suivre les procédures légales.

Le groupe embauche aussi de nombreux ingénieurs, géologues, commerciaux et influenceurs.

« Ces contrats relèvent plus du cadeau que de la relation commerciale »La coopération militaire s’accompagne toujours d’un volet économique.

Via l’implantation de sociétés russes, toutes plus ou moins reliées à Wagner et à Prigojine.

Wagner se bâtit comme une holding.

En Centrafrique, l’entreprise Lobaye Invest a été créée en 2017 par Evgenii Khodotov, un vétéran des forces de l’ordre de Saint-Pétersbourg, reconverti dans l’extraction de diamants et d’or. Une autre société, Bois rouge, pratique la déforestation illégale et intensive.

Ces entreprises bénéficient de réduction de droits de douane et d’exonération d’impôts.

« Ces contrats relèvent plus du cadeau que de la relation commerciale classique, estime la chercheuse Enrica Picco, responsable Centrafrique à Crisis Group. L’attribution de permis d’exploitation à Wagner est la seule manière pour des gouvernements africains surendettés de payer les services de ces mercenaires. »

La situation se répète ailleurs. Au Mali, les mercenaires ont pris possession de plusieurs mines d’or. En Libye, Wagner, qui défend les intérêts du maréchal Haftar, protège des infrastructures pétrolières. Cette stratégie fait partie de son ADN.

Dès sa création, en 2014, le groupe avait des vues sur les mines de charbon dans le Donbass selon des témoignages d’anciens mercenaires. Un an plus tard, Wagner systématisait cette approche. Via sa société Evro Polis, le groupe signait un contrat avec Bachar el-Assad pour s’assurer 25 % des revenus des champs de gaz et de pétrole repris par ses soins à Daesh.

La situation s’apparente parfois à du pillage.

Purement et simplement.

Au Soudan, Wagner terrorise les mineurs d’or et multiplie les massacres.

Par l’intermédiaire de Meroe Gold, une des entreprises de Prigojine, elle exporte les minerais précieux à l’étranger et envoie en échange des boucliers antiémeute, des casques, des matraques, etc.

Dernièrement, elle convoiterait aussi l’uranium présent au Darfour. Le département du Trésor des États-Unis évoque « une interaction entre les opérations paramilitaires russes, le soutien visant à préserver les régimes autoritaires et l’exploitation des ressources naturelles ».

L’opacité règne sur la quantité de minerais extraits et volés.

Les douanes et les autorités soudanaises étant complices de Wagner.

Le New York Times a révélé comment, en juin 2021, le général Abdel Fattah al-Burhan a émis l’ordre d’empêcher la fouille d’un avion militaire russe suspecté de faire du trafic d’or.

On estime que 70 % de l’or soudanais sort clandestinement du pays. Les concessions minières de Wagner pourraient stimuler les réserves aurifères de Moscou et aider Vladimir Poutine à contourner les sanctions économiques liées à la guerre en Ukraine.

« C’est du business sauvage et agressif »

Ces contrats ne sont pas non plus sans conséquences pour l’environnement. Les méthodes de Wagner traduisent une obsession pour le productivisme. « C’est du business sauvage et agressif, résume Charles Bouessel. Sans normes, sans transparence ni contrôle. » Dans les différents pays où le groupe s’implante, Wagner industrialise l’extractivisme. Il le brutalise. En Centrafrique, selon une enquête de l’European Investigative Collaborations, les abatteurs de sa société Bois rouge couperaient 15 à 20 arbres par jour, soit trois fois plus que la norme pratiquée dans d’autres concessions.

Alors que le gisement de Ndassima était auparavant exploité de manière artisanale, le groupe a aussi fait venir de Russie du matériel d’extraction plus performant. « Les Centrafricains n’étaient munis que de pelles et de pioches, raconte Thierry Vircoulon, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Avec leurs machines, les Russes extraient désormais de bien plus grandes quantités. »

La spoliation des ressources naturelles par les mercenaires n’est cependant pas nouvelle. Wagner s’inscrit dans une longue histoire. Dans les années 1990, les groupes paramilitaires s’emparaient aussi des minerais de la Sierra Leone et du Liberia en pleine guerre civile.

En Irak, en 2003, la société privée Blackwater accompagnait les compagnies pétrolières. L’entreprise étasunienne appuie désormais le développement de la présence chinoise en Afrique dans le cadre des « nouvelles routes de la soie ».

Wagner se différencie néanmoins par le fait qu’il est autant un groupe militaire qu’un groupe financier et minier. Il a su internaliser ses services pour gagner en profit et en autonomie.

« L’émergence de ce type d’acteur traduit la tension accrue pour les ressources naturelles, explique Jean-Paul Valantin, chercheur en études stratégiques et sociologie de la défense. Alors qu’elles viennent à manquer, la compétition pour leur accès devient de plus en plus violente. À l’avenir, avec le réchauffement climatique et la crise écologique, ces milices privées risquent de proliférer. »

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