Jacques Babel
Face à l’invasion de l’Ukraine poursuivie sauvagement par Poutine, le peuple ukrainien s’est dressé massivement, de manière armée et non armée. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a réussi à incarner cette résistance, consolidant une grande popularité. Son gouvernement n’en reste pas moins d’abord au service des classes possédantes, marqué par sa logique et ses alliés néolibéraux. Les terribles conséquences de la guerre rendent d’autant plus insupportables les privilèges et comportements de rapaces de membres des couches dirigeantes.
Avant la guerre, le pays apparaissait déjà fortement corrompu. Il était classé 122e sur 180 sur l’indice de perception de la corruption de l’ONG Transparency International. Si la loi martiale promulguée au début de la guerre a étouffé le droit de grève — sans bloquer tous les mouvements de protestation —, une liberté de la presse demeure qui permet de faire éclater des scandales comme la corruption prégnante.
Trains de vie fastueux et privilèges
Ainsi, fin janvier le média d’investigation en ligne Nashi Groshi (« Notre argent ») a révélé que des contrats signés par le ministère de la Défense surfacturaient de manière honteuse l’achat de produits alimentaires pour l’armée, entraînant le limogeage d’un vice-ministre de la Défense. Les jours suivants, le vice-ministre des infrastructures était démis de ses fonctions, arrêté en flagrant délit de réception de pots-de-vin liés à l’achat d’équipements, dont des générateurs électriques. Dans la foulée, d’autres hauts responsables comme le vice-procureur général ainsi que les gouverneurs des régions de Dnipro, Kherson, Kyiv, Soumy et Zaporijjia, et même le chef adjoint du bureau du président, un très proche de Zelensky, ont été limogés pour leurs trains de vie fastueux et leurs comportements privilégiés — comme des vacances au soleil à l’étranger —, en total décalage avec les privations que subissent leurs compatriotes. Ces questions sont évidemment très sensibles à la fois pour l’opinion publique et le maintien d’une cohésion dans la résistance à l’invasion russe, mais aussi du point de vue des alliés occidentaux qui apportent une aide massive à l’État ukrainien dans cette guerre. Ceux-ci promeuvent les intérêts des capitalistes et du secteur privé face aux droits sociaux des salariéEs et de la population, mais ils savent qu’une corruption directe et visible n’est pas assumable pour la crédibilité de leur modèle.
Solidarité avec les mouvements sociaux
Dans une situation très difficile, les mouvements syndicaux et sociaux ont pu parfois exprimer leur colère et leurs aspirations propres. Ainsi les mineurs de la mine n° 9 de Novovolynsk à l’ouest du pays se sont mobilisés en août jusqu’à obtenir l’invalidation de la nomination d’un nouveau directeur corrompu. Un mouvement écologiste agit contre les projets d’un oligarque d’édifier une station de ski dans des montagnes protégées ; les étudiantEs de Lviv et d’autres universités refusent que celles-ci soient fermées pour être transformées en centres d’accueil de réfugiéEs, considérant que la mise à arrêt de l’enseignement supérieur serait une victoire ennemie. Les syndicats se mobilisent également pour le paiement des arriérés de salaires et contre les licenciements d’ouvriers volontaires pour le front. Tout ces mouvements sociaux ont besoin de notre solidarité en même temps que celle-ci doit s’exprimer contre la guerre de Poutine.
De son côté, le chef de l’État russe a une attitude très spéciale face à la corruption. Quand il ne l’instrumentalise pas, voire ne l’invente pas pour éliminer des opposantEs, il la légalise ! Ainsi, il a signé le 30 décembre dernier un décret exemptant de déclaration de revenus tous les fonctionnaires ayant servi dans la guerre en Ukraine, a rendu légale la réception de « cadeaux » à cette occasion. Et la chambre des députés doit également voter une loi exemptant toutEs les éluEs de fournir au fisc une déclaration de revenus. Quant à la liberté de la presse, inutile d’en parler !