Courrier international
Alors que le groupe de chefs d’États africains tentant une médiation entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine a achevé son déplacement à Kiev et à Saint-Pétersbourg sans réels progrès, la presse sud-africaine se désole de la “pagaille” qui a entouré les pérégrinations de la délégation du président, Cyril Ramaphosa.
À l’issue de sa visite à Kiev et à Saint-Pétersbourg, où il s’est imposé comme le chef de file d’une tentative de médiation menée par des chefs d’États et responsables africains entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a estimé que l’initiative africaine avait “eu un effet”, rapporte la chaîne publique sud-africaine SABC. Mais nombre d’observateurs estiment que la mission affiche un bilan modeste, qui a peu de chances d’aboutir à la paix.
Dès l’arrivée en Ukraine, vendredi 16 juin, de la délégation composée des présidents sud-africain, sénégalais, comorien et zambien, ainsi que de hauts représentants du Congo-Brazzaville, d’Égypte et d’Ouganda, Foreign Policy soulignait que la mission de paix “ne démarrait pas du bon pied” alors qu’une salve de missiles russes visait Kiev.
“C’est presque certainement la première fois dans l’histoire de l’Afrique du Sud en tant qu’État-nation que son dirigeant se trouve dans une ville sur laquelle des missiles ont été lancés par une nation ‘amie’ qui savait qu’il s’y trouvait”, cingle Stephen Grootes dans une analyse publiée par le média d’investigation sud-africain Daily Maverick en ironisant sur la proximité controversée entretenue par Pretoria à l’égard de Moscou.
“La délégation, qui a juré de privilégier la neutralité et la diplomatie, faisait déjà l’objet de polémiques avant même d’entamer le voyage”, relève également Foreign Policy, qui rappelle que l’ambassadeur américain en Afrique du Sud a accusé le pays d’avoir fourni des armes à la Russie.
Si le calendrier de la mission semblait ainsi très opportun du point de vue de l’Afrique du Sud, qui tente par tous les moyens de “désamorcer la colère anti-sud-africaine croissante à Washington”, note le journaliste John Matisonn dans une tribune publiée par News24, il paraissait en revanche peu propice pour aboutir à des progrès significatifs, alors que l’Ukraine vient de se lancer dans une contre-offensive.
Une initiative “étouffée dans l’œuf”
De fait, Volodymyr Zelensky a rapidement douché les espoirs de la délégation africaine, qui plaidait notamment pour une “désescalade” mutuelle en déclarant, au cours d’une conférence de presse, qu’un “retrait russe total d’Ukraine était la seule voie vers la fin de la guerre”, résume le Daily Maverick.
Côté russe, le président Vladimir Poutine a offert une écoute polie à la délégation, saluant “l’attitude équilibrée de nos amis africains face à la crise ukrainienne” et assurant que la Russie était ouverte aux négociations, avant de rejeter sur l’Ukraine la faute de l’absence de dialogue, rapporte News24.
Mais in fine, le président russe a lui aussi martelé la position qui est celle de la Russie depuis le début du conflit. “[Vladimir] Poutine a blâmé l’Occident pour les nombreux problèmes en Ukraine et déclaré que c’était l’Occident, et non la Russie, qui avait causé la forte augmentation des prix des denrées alimentaires”, poursuit News24.
“L’initiative n’a pas permis de progresser vers la paix, les parties belligérantes ne montrant aucune intention de reculer”, résume Foreign Policy, qui se demande si l’initiative n’a pas été “étouffée dans l’œuf” et si le président Cyril Ramaphosa “a la capacité de faire la différence”.
Manque de préparation
Plus sévère, la presse sud-africaine concentre ses commentaires sur le désolant spectacle offert par une partie de la délégation du président Ramaphosa, qui a frôlé l’incident diplomatique alors que plus d’une centaine de membres de la protection présidentielle, de policiers et de forces spéciales sont restés bloqués en Pologne pendant près de quatre jours.
Pendant que les autorités polonaises expliquaient que le groupe ne possédait pas les autorisations nécessaires pour faire entrer “une douzaine de caisses d’armes puissantes” dans l’Union européenne, rapporte le Sunday Times, le chef de la protection présidentielle sud-africaine, le major général Wally Rhoode, accusait le gouvernement polonais de “racisme” et de “sabotage”.
“La carte raciale est brandie si souvent dans ce pays pour dissimuler l’incompétence que nous ne devrions pas être surpris que le chef de la sécurité du président Cyril Ramaphosa ait fait la même chose à Varsovie”, tacle le quotidien The Citizen dans un éditorial alors que les éléments mettant en évidence le manque de préparation sud-africain s’accumulent.
“Quiconque a planifié [le déplacement de] l’énorme groupe de protection présidentielle et de spécialistes de la sécurité en Ukraine et en Russie n’a pas tenu compte des contraintes logistiques de base de la mission”, juge également City Press, qui qualifie l’aventure de “cauchemar”. Comme d’autres, le quotidien sud-africain s’étonne par ailleurs de la dimension pléthorique de la délégation sud-africaine – celle du président zambien Hakainde Hichilema comptait vingt-quatre officiels, souligne le Daily Maverick.
Une pluie de critiques
“La pagaille qui a entouré la mission du personnel de sécurité en Ukraine et en Russie – de la conception à la préparation et à l’exécution – est un parfait exemple de la façon dont les rouages de l’État et du gouvernement ont apparemment complètement perdu la capacité de gérer des projets, même légèrement compliqués”, se désole enfin le rédacteur en chef adjoint de News24, Pieter du Toit.
Après s’être vu refuser le plan de vol qui devait l’amener à Saint-Pétersbourg, la délégation est finalement rentrée en Afrique du Sud dimanche 18 juin, sans avoir mis un pied ni en Ukraine ni en Russie.
Autre bévue qui coûte cher à la réputation sud-africaine, vendredi 16 juin, alors qu’une “ville entière et les médias du monde entier étaient témoins d’une attaque de missiles russes sur la capitale [ukrainienne]”, raconte le Kyiv Post, le porte-parole de la présidence sud-africaine mettait en doute la réalité de l’attaque. Assurant n’avoir rien vu ni rien entendu, Vincent Magwenya laissait entendre que les comptes rendus publiés par la presse étaient une entreprise de “désinformation délibérée”, s’attirant une pluie de critiques. Quelques heures plus tard, il était désavoué par le président, Cyril Ramaphosa, qui confirmait, en conférence de presse, avoir entendu des “frappes de missiles”.