Marie Daoudal
En Allemagne, des militants de gauche ont annoncé se désolidariser des traditionnelles marches pour la paix du week-end de Pâques. En cause : les positions confuses des organisateurs, notamment sur les livraisons d’armes à l’Ukraine.
“Les marches de Pâques pour la paix se mettent en mouvement”, annonçait le magazine Emma, quelques jours avant le début de ces manifestations, qui rassemblent traditionnellement plusieurs milliers de personnes de différents bords politiques en Allemagne. Mais cette année, elles se révèlent particulièrement controversées, dans le contexte de la guerre en Ukraine.
“L’Allemagne a déjà livré 18 chars Leopard à l’Ukraine”, explique le média, dont la fondatrice, la féministe Alice Schwarzer, a lancé une pétition contre l’envoi d’armes lourdes en Ukraine au côté de la politicienne de gauche Sahra Wagenknecht. Et “tout indique que l’on se dirige plus vers l’affrontement que vers des négociations”, au grand désespoir des pacifistes en charge de l’organisation des marches pascales.
Une partie d’entre eux a d’ores et déjà annoncé que les manifestations de cette année seraient placées sous le signe de l’Ukraine. “Dans leur appel, des organisateurs [berlinois] listent plusieurs revendications, signale Die Welt. Parmi elles, une architecture de sécurité européenne ‘de Lisbonne à Vladivostok’, l’ouverture de négociations de paix sans condition préalable – comprendre, sans exiger le retrait russe des régions ukrainiennes occupées – et la fin des ‘incitations à la guerre’, ainsi que des sanctions.”
Une société divisée
Mais ces revendications divisent les pacifistes et les formations proches du mouvement. Certaines sections locales du parti de gauche radicale Die Linke ont ainsi fait savoir qu’elles ne participeraient pas aux événements de ce week-end : un phénomène inédit. “La gauche et les marches pour la paix sont toujours allées de pair, rappelle la Berliner Zeitung. Non aux armes, non à la guerre, voilà ce sur quoi on se retrouvait. Mais l’agression russe contre l’Ukraine a changé la relation entre les partis et le mouvement pacifiste.” D’autres organisateurs de marches de Pâques ont bien précisé qu’ils soutenaient l’envoi d’armes aux Ukrainiens.
“Dans toute la société, le pacifisme donne lieu à des différences d’interprétation”, contextualise la chercheuse en sciences sociales Larissa Meier dans les pages de la Frankfurter Rundschau. Mais d’après elle, le conflit ukrainien a particulièrement touché le mouvement allemand pour la paix. Ce dernier s’est morcelé en trois groupes distincts : “Les traditionalistes, qui se retrouvent dans ces marches pascales, la droite populiste, qui se reconnaît dans l’appel lancé par Schwarzer et Wagenknecht [un “manifeste pour la paix” qui a été signé par plus de 776 000 personnes à la date du 6 avril] et le mouvement de solidarité pro-ukrainien qui est favorable à la livraison d’armes”.
“On nous traitait de crétins”
La Deutsche Welle considère que “plus la guerre durera, plus les esprits se déchireront sur la présumée légitimité des cibles et des exhortations des manifestants”. En 2022, les marches de Pâques avaient déjà fait l’objet de polémiques. Mais depuis, les débats et les tensions autour de l’envoi d’armes en Ukraine se sont encore intensifiés. Et cela se répercute sur le mouvement pacifiste.
Pourtant, de telles dissensions ne sont pas totalement inédites. Interrogé par la chaîne d’outre-Rhin, Kristian Golla, l’un des organisateurs de la marche de Pâques de Bonn, rappelle que dans les années 1980, les critiques fusaient aussi – notamment à l’égard des détracteurs de l’Otan. “On nous traitait déjà de crétins”, explique ce sexagénaire, fils de militaire.
À l’époque, précise la Frankfurter Allgemeine Zeitung, les manifestants étaient encore plus nombreux qu’aujourd’hui, avec près de 200 000 personnes dans les rues. Et pour le journal conservateur, “le mouvement était téléguidé depuis Moscou” – ce que nient les militants pour la paix. Les mêmes débats refont surface, analyse Die Welt. Aujourd’hui, “le pacifisme traditionnel est en crise”.