Ilya Budraitskis
Alors que la guerre contre l’Ukraine est entrée dans une nouvelle phase, nous publions des extraits d’une interview de notre camarade Ilya Budraitskis1 concernant la situation en Russie.
Poutine a été contraint de modifier sa stratégie militaire, avant tout en raison des victoires remportées par l’offensive ukrainienne. La libération continue du territoire par les UkrainienEs ne lui laisse pas d’autre choix que de recruter davantage de personnel.
L’État russe contraint d’appeler des troupes
L’armée russe n’a tout simplement pas assez de personnel en service actif pour tenir la ligne. Au cours de la dernière décennie, Poutine a considérablement réduit les effectifs de l’ancienne armée soviétique, qui était composée d’un nombre massif de conscrits. C’était une force véritablement immense.
À sa place, il a mis en place une armée professionnelle conçue pour mener de petites opérations, et non de grandes prises de territoire. Cette armée remodelée a été assez efficace lorsque Poutine l’a déployée en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014 et en Syrie en 2015.
Mais l’invasion de l’Ukraine par la Russie est complètement différente de ces opérations spéciales. Dans ce cas, l’armée fait face à une population et à des militaires déterminés qui sont préparés avec à la fois la volonté et les moyens de résister et de faire reculer la Russie. L’État a donc été contraint d’appeler des troupes, davantage sur le modèle de l’époque soviétique, pour tenir un territoire conquis.
Pas de fissures profondes dans l’appareil d’État
Lorsque Poutine a réformé l’armée pour en faire une armée professionnelle plus petite, certains généraux s’y sont opposés. Il ne fait aucun doute qu’ils se sentent aujourd’hui légitimés et qu’ils ont fait pression pour la mobilisation de troupes afin d’empêcher ce qu’ils craignent d’être une défaite en Ukraine.
L’ancien KGB, désormais appelé Services de sécurité fédéraux ou FSB (acronyme russe), a mis en garde contre un tel appel. Parce qu’ils espionnent la population russe, ils sont plus au fait des dangers de l’organisation d’une conscription à si grande échelle.
Il y a donc probablement des tensions dans l’État. Mais il n’y a pas encore de fissures profondes. En fait, le FSB fait actuellement pression sur Poutine pour qu’il ferme les frontières afin d’arrêter la fuite des conscrits.
Il y a aussi probablement quelques divisions dans la classe dirigeante. Certaines grandes entreprises et certains ministres chargés de la politique économique s’inquiètent peut-être des dégâts causés par les sanctions. Certains ont même fait des déclarations publiques d’inquiétude.
Mais ils ont peu de poids dans le processus décisionnel de l’État. Les oligarques ont depuis longtemps fait confiance à Poutine. Et tous les membres des échelons inférieurs de l’État ne font qu’obéir aux ordres. Ils ne sont que des gestionnaires des décisions de Poutine et de sa clique.
Seule une défaite militaire infligée par la lutte de libération ukrainienne pourrait diviser la classe dirigeante et la bureaucratie d’État. À ce stade, elle reste solide et unifiée derrière Poutine.
Poutine n’a pas abandonné son objectif de conquête totale de l’Ukraine
Poutine voulait initialement s’emparer de Kiev et imposer un gouvernement fantoche sur l’ensemble du pays. La résistance ukrainienne a empêché cela et elle chasse maintenant les forces russes des territoires occupés.
Dans cette nouvelle situation, la principale priorité de Poutine est de préserver les territoires occupés et d’arrêter l’offensive ukrainienne. S’il ne le fait pas, il perdra cette guerre. Il espère donc geler les lignes de front en place et travailler en profondeur pour tenir ce qu’ils ont conquis.
C’est pourquoi ils ont ordonné la mobilisation. Ils vont déployer autant de soldats que possible, même avec une formation inadéquate, pour ralentir l’offensive ukrainienne.
Ils ne prévoient aucune offensive à ce stade. Nous devons toutefois préciser que Poutine n’a pas abandonné son objectif de conquête totale de l’Ukraine. Il ne peut simplement pas le réaliser maintenant, et doit plutôt s’accrocher aux territoires occupés, et gagner du temps pour une future offensive.